7 août 2007
Broyé et gâte-sauce
Madame, vous souhaitez confectionner un broyé, délicieuse recette originaire de cette douce région française qu'est le Poitou?
Vous avez, par le plus grand des hasards, tous les ingrédients sous la main?
Vos enfants sont actuellement en train de se ramollir le bulbe rachidien devant la télévision, en admiration éperdue devant une souris en culotte rouge qui parle d'une voix suraiguë à un canard qui a dû fumer son paquet de Gitanes maïs pendant trente ans pour émettre de tels sons?
Pas de mari aux alentours (ou de compagnon, de pacsé, de concubin, d'homme à tout faire ou à ne surtout pas en faire une) pour vous demander "Qu'est-ce que tu fais, chérie? Tu as pensé à recoudre mon bouton / repasser ma chemise / inviter Machin / téléphoner au proprio/ etc ?" (au choix, liste non exhaustive).
Planquez-vous bien.
Mélangez très discrètement la farine, le sucre et le beurre ramolli dans votre saladier, sans faire de bruit surtout, sinon l'inévitable arrive: une aide.
Malheureuse! Vous avez utilisé la balance Terraillon qui vous suit partout dans vos pérégrinations! Le ressort vous a trahie! Un très léger grincement, uniquement perceptible par les pavillons auditifs tous neufs de votre fille de quatre ans.
Vous êtes d'une maladresse, Madame, on ne vous félicite pas. Vous avez néanmoins évité le premier écueil, voir votre cuisine envahie par un nuage de farine après une conversation du type:
- Ze veux verser la farine, moi.
- Non.
- Siii, c'est moi!
- Nan, j'te dis.
- Ouiiinn!
- Bon, mais je t'aide.
- Non, toute seule. Laisse faire.
- Doucement, non, là, arrêêêêêêêêêêête!
Le mélange ayant déjà été réalisé, il reste quelques opérations tout aussi salissantes à effectuer.
Votre aide impromptue, excitée par la perspective de se rendre utile, dédaigne toute incitation au lavage préalable des mains. Comme vous avez déjà baissé pavillon, vous la laissez égrener le crumble déjà obtenu, puis malaxer à son aise la pâte avec ses pattes crasseuses.
Vous pensez bien reprendre la main pour l'opération suivante, délicate s'il en est. Vous-même n'êtes pas un as et avez bien besoin de vos deux mains pour procéder. D'ailleurs, vous êtes sûre que les présentateurs qui cuisinent à la télé et cassent leurs œufs d'une main, sont des prestidigitateurs engagés dans ce but unique pour épater les ménagères.
Que nenni. Votre aide a un pied dans la place, elle se campe sur ses positions, agrippe l'œuf que vous êtes bien obligée de lui céder, sous peine de devoir en plus passer la serpillière. Sauf qu'il n'y a pas de serpillière en Nouvelle-Zélande, mais des sortes de balais avec une éponge, que vous manipulez avec parcimonie car tonnerre de Zeus c'est bien une invention anglo-saxonne ce truc.
Vous transigez, cassez un peu l'œuf, le transmettez à votre aide qui trépigne et finit de le pulvériser en projetant du blanc partout sur ses menottes. Comme ça on ne les lavera pas pour rien. Après. L'essentiel de l'œuf est tombé dans la pâte, c'est le résultat qui compte.
Vous envoyez un auxiliaire qui s'est arraché à la contemplation du rongeur hollywoodien, vous chercher la bouteille de rhum. Elle descend drôlement, en ce moment, c'est pas possible qu'il y en ait autant dans les gâteaux. Une cuillère à soupe plus tard, le gâte-sauce pétrit gaillardement la pâte finale.
Vous devez batailler un peu pour extraire la boule du saladier, sinon vous y seriez encore le soir, car c'est tellement agréable d'aplatir cette pâte. Pleine de beurre bien gras, le gras c'est bon, d'œuf et de rhum.
N'insistez pas, vous n'arriverez pas à mettre la main dessus et devez vous contenter de donner les directives adéquates, tout en utilisant le langage des signes.
Puisque la maîtrise de la pâte vous a échappé, vous laissez votre progéniture la rouler et en profitez pour préparer le moule. Vous lui faites transvaser la boule dedans et lui faites aplatir le tout.
Vous suivez cette opération en vous jurant que c'est bien le dernier enfant que vous aurez, car des creux et des bosses apparaissent rapidement, suscités par l'énergique intervention de votre dernière-née. Elle y met de l'enthousiasme et un peu de ses cheveux, et vous devez stopper un si bel élan, sinon vous ne cuirez qu'un broyé version hostie.
La laissant hurler de rage de ne pas avoir eu le droit de jouer à rayer la surface à la fourchette, car il faut bien que vous aussi vous amusiez, vous la consolez en lui faisant dorer le dessus du broyé au lait. Ce n'est pas dans la recette mais il faut savoir être audacieuse.
Elle grave quelques lignes anarchiques supplémentaires en appuyant de toutes ses forces avec le pinceau à dorer, un de vos derniers achats, un adorable pinceau en silicone, au manche transparent, un must have dans la cuisine.
Vous pouvez pousser un soupir de soulagement en enfournant votre broyé. Et vous promettre (pour la prochaine fois) de fermer les portes, de mettre le volume de la souris cathodique au maximum et de graisser cette traîtresse de Terraillon.
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